TEXTES, ARTICLES,

PRÉFACES

Liste des textes ci dessous

( par Karl Lagerfeld, Pierre Bergé, Andy Warhol et d'autres....)

1/ Karl Lagerfeld : Souvenirs pour l’imaginaire à venir. Préface du livre "Une dernière danse".

2/ Pierre Bergé : Préface du livre "Nigth Clubbing / Day Dreaming".

3/ Philippe Morillon : Journal du samedi 10 juin 1977 (extrait). Postface du livre "Nigth Clubbing / Day Dreaming" .

4/ Philippe Morillon : Copies, répliques, fac-similés, répétitions, imitations et appropriations à propos de l’œuvre d’Andy Warhol. Préface du livre "Andy by Philippe".

5 / Divers auteurs : "Jeu de société pour un paquet de Winston vide". Préface du livre "80".

5 bis / Jean-Clet Martin : L’illustration est un art à part entière.

5 ter / Klaus Speidel : Toucher le fond de la peinture.

6 / Andy Warhol : Préface du livre "Ultra lux".

7 / Raffael Enault : Interview : La mémoire des jeunes gens chics.

8/ Olivier Mokaddem : Interview : Un horizon de travers.

9 et 10 / Philippe Morillon : Notes marginales sur le pastiche & l'anachronisme. ( 2012) et Autofiction en peinture & quelques conséquences théoriques spéculatives (2015).

Karl Lagerfeld :

Souvenirs pour l’imaginaire à venir


PRÉFACE DU LIVRE

"Une dernière danse ? 1970/1980, journal d'une décennie"

2008 éditions Steidl

Pour ceux qui étaient nous, l’écho lointain du souvenir résonne dans nos mémoires grâce au langage silencieux des images de Philippe Morillon. Les nombreux condamnés à mort à venir revivent sous nos yeux dans toute la splendeur de leur insouciance superficielle et de leurs paradis souvent artificiels. Il est poignant de penser qu'il leur restait si peu de temps à vivre dans la fièvre de cette euphorie presque angoissante.

Les bals du Palace n'avaient pas de sponsors. Les bénéfices (d'ailleurs il n'y en avait pas) n'étaient pas destinés à des œuvres humanitaires. C'était la fête pour la fête, payée par celui qui pouvait payer. Paris avait ses stars et quelques météores de passage mais l’idée « red carpet » n'existait pas et l'expression « icône » était encore réservée aux peintures des églises orthodoxes. Philippe Morillon laisse une vision assez élégante d'une époque éphémère qui pouvait aussi être sordide par moments mais qui fait rêver aujourd'hui. Le « politiquement correct » avec son cortège de comportements hypocrites était encore à venir. Il n'y avait que la « rive droite » et la « rive gauche ». Grâce à Fabrice Emaer, la Nuit s'était installée « rive droite » (d'abord avec le Club, 7, rue Sainte-Anne et, en 1978, avec le Palace, rue du Faubourg-Montmartre). Le sida, la gauche caviar et une paralysie progressive des esprits ont changé cette forme de vie et de vivre à tout jamais. À la place de cette insouciance dangereuse nous avons hérité d'une gravité de surface stérilisante. Il n'était pas défendu à l'époque de fumer dans un lieu public. Imaginez les fêtes du Palace sans cigarettes ni joints…

Successivement se sont éteints les feux de la rampe d'une fête qui ne pouvait durer et qui a trouvé en Philippe Morillon son meilleur biographe. Ces images qui, d'une main silencieuse, nous montrent une époque que beaucoup aujourd'hui n'ont pas connu. Philippe a su retenir ce qui allait s'effacer au détriment d'une légende sans image : une vision parfaite d'un ancien réel. Ses photos nous évitent les clichés banals de la mémoire collective et les idées toutes faites sur un certain passé, certainement pas parfait, mais si différent de notre présent. Il nous fait supporter avec légèreté le poids de ce qui n'existe plus. On se croyait à l'aube d'un futur qui fut différent et souvent injuste.


La pièce se jouait surtout dans la salle. Quand le rideau est tombé des deux côtés, il fallait sortir…

Mais « dehors, c'est où ? » se demandaient les acteurs principaux et les figurants nombreux de cette pièce qui s'était jouée à guichets fermés pendant ces courtes années de lumière. Quand on est allés loin, très loin, trop loin, le retour est difficile, impossible parfois. On rend hommage (activité très prisée de nos jours) à un passé sulfureux qu'on aurait tendance à condamner s'il avait lieu aujourd'hui, mais que l'on serait égale¬ment incapable de ressusciter dans toute sa légèreté apparente.

Le livre de Philippe Morillon est un livre de la nuit où nous entrons par les portes fermées du souvenir. On a l'impression - peut-être trompeuse ? - que l'activité principale de ce petit monde, pas uniquement fait de mondains, était de sortir, de sortir et encore sortir. Il fallait vivre les nuits comme des sorti¬lèges et se sentir en marge de la banalité du quotidien. Ces images sont comme le brouillon d'un texte mis au net plus de trente ans après certainement beaucoup d'abandons entre les marges et les vides.

Les nuits n'étaient jamais trop longues puisque le jour n'avait pas l'air d'exister. Le réveil à la lucidité était pour plus tard (souvent trop tard).

Le temps qui restait n'était pas le même pour tous. Il est dangereux d'abuser de la lumière et ses reflets aveuglants. C'était un univers hétéroclite et fermé à la fois. L'originalité, la beauté et la jeunesse étaient les atouts importants pour en faire partie. Ces images sont plus fortes que les dis¬cours des rescapés, souvent trop chargés d'émotions et de jugements posthumes. Ici, pas de Photoshop du passé. C'était ainsi. J'y étais !

KARL LAGERFELD

P.S. : ce livre de Philippe Morillon est merveilleux. Personnellement, je déteste être rappelé à l’ordre par des souvenirs mais qui peuvent inspirer des générations à venir. Le passé n'est créatif que s'il est Imaginatif.


Pierre Bergé :

Nigth Clubbing / Day Dreaming

PRÉFACE DU LIVRE

et

TEXTE DE PRÉSENTATION DU LIVRE

"Journal du samedi 10 juin 1977 (extrait)"

rédigé par l'auteur.


Voir une photographie de Philippe Morillon c’est se plonger dans les « années Palace » comme on les a appelées. Mais ce n’est pas que cela. Dans les mains de Philippe, l’objectif cesse d’être objectif. Son oeil sait faire le tri et débusquer l’essentiel. Avec la rapidité des prédateurs, il capture l’instant et ne conserve que l’indicible. Apprivoiser le temps, le fixer avant qu’il ne s’envole est le rêve de tout artiste. Philippe Morillon est passé maître dans l’art d’attraper au vol, avant qu’elles ne tombent dans l’oubli, les émotions les plus fugaces.

Revoir une photographie de Philippe Morillon des années plus tard, c’est faire le seul voyage qui vaille : celui qui mène au centre de la mémoire et du temps.

Pierre Bergé

Philippe Morillon : Journal du samedi 10 juin 1977 (extrait)

Longtemps, je me suis levé assez tard. Je n’ai jamais aimé les réveils qui sonnent, et ce samedi 10 juin 1977, huit jours avant mon anniversaire, lorsque je m’éveille, il est au moins midi et j’ai la gueule de bois. Midi, ce n’est pas si tard dans le fond, j’en connais dans la bande qui se lèvent à quatre, cinq heures de l’après-midi, ou plus encore… Pauvre Marcel…

La veille, j’étais sorti au Club 7 avec François qui souhaitait exhiber sa nouvelle coiffure punk, réalisée en fin d’après-midi avec l’aide de Marie-Hélène dans la salle de bain : une décoloration totale, un platine semblable à celui d’Edwige, très à la mode en cette fin de printemps. L'avantage avec le punk, c'est que c'est facile et pas cher, pense François. Inutile d’aller chez un coiffeur, on trouve tout le matériel pour quelques francs au Monoprix du boulevard Sébastopol. Évidemment, il a fichu un souk terrible dans la salle de bain. Après avoir cru qu’avec de l’eau de javel il obtiendrait de bons résultats (je ne sais pas quelle folle méchante a pu lui souffler cela dans l’espoir d’une belle catastrophe… enfin plutôt oui, je devine qui, mais je ne le dirai pas), François a opté pour la chimie. Ma serviette est fichue mais l’effet jaune-paille est très réussi. Il est ravi !

J’ai oublié de dire qu’avant d’aller rue Sainte-Anne, nous avons dîné avec Marie-Hélène Massé, qui habite aussi boulevard Sébastopol, chez la cousine de François, Claire Citroën (celle qui signe ses aquarelles de paysages provençaux d’un chevron « Citroën » comme il se doit). Ces braves bourgeois de Neuilly n’ont rien dit au sujet des cheveux de François même s’ils ont failli avoir une attaque en ouvrant la porte, sous l’œil ravi de François.

Est-ce à cause de la fête punk en l’honneur de l’ouverture de la boutique Kiruna Melba qu’il a eu l’idée de ce blond platine ? Alain Pacadis lui aurait-il promis une photo dans sa rubrique « White Flash » de Libération ? Ou bien François a-t-il simplement voulu participer à la customisation généralisée qui règne au sein de la bande ? Cette bande qu’Alain, dans son roman « Un jeune homme chic », décrit comme suit : « … Paquita sur un solex scotché fluo est armée de chaînes de moto… Djemila porte un tee-shirt en sac de pommes de terre… Adeline André arbore en broche un paquet de Gauloises, des mégots et des allumettes… Dominique Ganglof est recouvert d’épingles à nourrice et de lames de rasoir, Maud Molyneux, la seule punk milliardaire, exhibe des épingles à nourrice en or massif.»

Pacadis exagère toujours un peu, Maud est bien trop radine pour cette dépense, mais le ton est juste… La mode punk déferle sur Paris depuis un mois. La presse adore : « Les punks agressent, choquent, ne sont qu’une insulte à la société, au genre humain. Dans tous ces regards métalliques, dans tous ces sourires figés, il y a un mélange de hargne et de déprime, d’écœurement et de dédain, avec leurs cheveux teints, leurs drogues, leurs insignes nazis, leur racisme, leur pauvre tapage qui n’est pas de la musique, ils ne sont que les sous-produits dégénérés des hippies et rockers… » (« Attention les punks arrivent » par Anne Chabrol dans Le Matin de Paris du 21 mai 77)

Devant un tel flot de compliments, toute notre bande de jeunes gens avides de nouveauté se précipite et adhère immédiatement à la nouvelle religion « No Future ». .En Union Soviétique, Nikolaï Podgorny est remplacé par Léonid Brejnev. La guerre froide est plus que jamais menaçante. Comment ne pas être punk ? Si les jeunes chômeurs anarchistes défoncés de Londres inventent le concept, à Paris, tout finira chez Régine en une grande soirée avec Andy Warhol, Caroline de Monaco et Philippe Niarchos.

Donc, François, celui qui s’est décoloré dans la salle de bain, habite chez nous (un appartement vaste mais vétuste que j’occupe avec un nombre indéterminé de gens) depuis quelques mois. C’est un fils de famille : la riche banque Lazard s’est mariée à l’aristocratique marquis de la Fressange et après la guerre à un champion automobile victime d’un accident de course mortel. Ce sera un accident social qui amènera François chez nous, artistes fauchés, mais à la mode. Sa femme l’a mis à la porte. Sans un sou, il squatte habituellement chez la comtesse d’Harcourt, mais trouve bien plus amusant de sortir avec nous.. Et, comme je le trouve drôle, il s’est installé dans ma chambre. Je traîne une nette déprime depuis que Gilles m’a quitté pour Pierre l’an passé et j’ai besoin de voir du monde, de me changer les idées. Et François connaît beaucoup de monde, surtout des snobs (j’adhère aussi au snobisme, qui n’est pas du tout incompatible avec le punk).

La fête ne fait que commencer ! C’est la dernière période créative du siècle finissant qui s’ouvre. J’en ai vingt-sept ans en 77, et je veux en profiter !

Ruiné, déclassé, bavard, mondain à la langue de vipère, n’ayant jamais travaillé et incapable du moindre des actes de la vie ordinaire, François montre de sérieux handicaps aux tâches quotidiennes. Alors qu’il faisait un stage pour la banque familiale à New York, il a pris de mauvaises habitudes dans les backrooms « cuir » des bars gays. Il a aussi traîné à la Factory (Andy adore ce style de profil européen si chic). François m’a présenté la semaine dernière au pape du Pop art en visite à Paris pour son exposition des « Faucilles & marteaux » (vérifier le nom en anglais c’est Hammer and Sickle) et je lui ai plu. Je suis passé chez lui, rue du Cherche-Midi, et nous sommes devenus amis. Après avoir vu mes dessins, il m’a proposé de réaliser une couverture pour Interview, ce qui m’a conforté dans les rêves les plus délicieux , quoique improbables, et je vais sûrement devenir un Grand Artiste (parce pour le moment je rame pas mal, je n’ai fait qu’un dessin pour Marie Claire ce mois-ci et franchement, je peux mieux faire m’a dit Andy, qui n’a pas l’air d’aimer Marie Claire) ! Je nage donc depuis une semaine, sans fumer plus de joints que d’habitude, dans une semi-illusion contemplative et narcissique... Je suis vraiment content de moi. Comme si l’un des Dieux jadis immobiles sur le mur du temple de l’Art & de la Grande Peinture réunis était descendu tout à coup de sa mosaïque dorée pour s’exclamer : « Philippe, tes tableaux sont très bien ».

Je dois être un « élu »… Le mardi 2 juin a lieu une séance photo organisée par nos amis du journal Façade qui veulent faire leur couverture avec Andy et Edwige. Joël le Bon, autre familier du boulevard Sébastopol mais qui connaît aussi les gens les plus chics, doit réaliser ces photos : des heures pour un cliché, avec de gros projecteurs de cinéma qui dégagent une chaleur intense. Je dois moi-même faire le portrait d’Andy pour un petit magazine snob nommé Égoïste de Luxe, publié par Nicole Wisniak, une autre amie de François. J’ai une idée magnifique pour réaliser deux images d’Andy, l’une vue du ciel, l’autre de la cave. Je suis très intéressé par ce genre de concept brillant mais totalement irréalisable, vu que le plancher n’est pas transparent… Bon, faisons comme si... Je monte sur un escabeau pour la vue aérienne mais de là, je n’ai plus que la perruque d’Andy dans mon objectif. Pour un portrait, c’est pas terrible... je suis mal engagé. Comment vais-je me sortir de cette situation absurde ?

Et c’est là que la grâce agit (la grâce efficace, bien sûr, car la grâce suffisante n’a suffi qu’a me coller en haut d’un escabeau... Avec François, nous lisons Les Provinciales de Blaise Pascal et la théologie Janséniste n’a plus aucun secret pour nous). Je repère au-dessus du lavabo, dans les toilettes du studio où nous travaillons un petit miroir portatif à trois panneaux articulés. Il va me servir à récupérer non pas un visage d’Andy, mais trois. Me voilà sauvé, plus besoin d’escabeau. Je me place derrière Andy qui tient le triptyque et montre son visage le plus inexpressif (il en a marre de cette séance, mais il est très professionnel). Magnifique, l’image est bonne.

Je présume que ce petit coup de projecteur « Warholien » va faire du bien à ma carrière mondaine encore balbutiante, et par ricochet à ma carrière artistique.

Lorsque, des années plus tard, je relis les pages des Diaries de Warhol consacrées à ces dates de début juin 77, aucune trace de moi… juste les mondanités habituelles avec les Brandolini et les Niarchos. Il note néanmoins la présence de punks avec Sao Schlumberger à la galerie Daniel Templon. Je n’apparaîtrai que des années plus tard dans ces Diaries. Mais je ne le sais pas. Je pense qu’il est très amoureux de moi... Andy m’assure qu’il est « très facile d’être artiste et que je peux très bien le faire ». Ce qui me propulse sur un nuage.

Ce n’est en revanche pas le cas ce matin, enfin ce midi. Je n’ai pourtant pas pris d’héro hier soir, pas une miette. Il faut dire que le téléphone ne répond pas toujours chez Monique, qui nous vend habituellement cinquante ou cent francs de poudre blanche. Hier, elle devait être tellement défoncée qu’elle n’a pas réussi à décrocher. Cette toxico bien atteinte reçoit tous les branchés des Halles dans un studio du 18e arrondissement. Allongée sur son lit, on la croirait momifiée par la poudre. Son assistant, un petit gay tombé dedans lui aussi, ouvre la porte. Il faut parfois attendre une demi-heure devant son catafalque avant qu’elle ne ressuscite quelques instants pour vous préparer un « quépa » d’héro avec la lenteur d’un paresseux de la forêt vierge. Cinquante francs, c’est du petit détail, alors on patiente poliment avec des bassesses de courtisans ; on bave devant les lames de rasoirs, miroirs et pailles posés sur le lit... Elle sort péniblement de son rêve opiacé et nous fait, enfin, « tourner ». C’est super, on se sent bien. On peut aller vomir un peu plus tard en titubant.

Mais bon, cela n’arrive pas tous les jours, vu que ce truc, on le sait bien, n’est pas bon pour la santé... Mais voilà, il faut être archi défoncé, c’est la mode punk ! Je dois m’occuper d’affaires sérieuses après le petit déjeuner et faire quelques courses au Monoprix du boulevard Sébastopol. François ne risque sûrement pas d’y aller. Sous prétexte qu’il y avait un maître d’hôtel chez sa mère, il ne sait rien faire et ne fait rien.

Donc, s’occuper des choses sérieuses ne signifie pas travailler au dessin que je dois terminer : une peinture sur toile, un travail personnel et non une commande. Si elle n’avance pas, c’est normal, me dis-je, c’est très long et minutieux le style hyperréaliste, il faut dessiner tout les détails. Et peindre à l’aérographe, c’est délicat, il faut découper un tas de caches. Je reprendrai demain puisque ce n’est pas urgent. C’est pourtant très joli, un gros plan sur une carte postale des années 60 où des photos de Gilles sont assemblées en ovale sur un fond gris, genre « Souvenir de Mourenx ville nouvelle ».

La chose sérieuse et importante, c’est répondre au courrier de notre petite annonce, parue dans Chéri je t’aime. Je m’entends très bien avec François. Bien qu’il dorme dans mon lit, nous n’avons pas trop d’activités sexuelles ensemble. Cela nous ennuie plutôt. Il pense que je suis un sentimental pathologique et que ce n’est ni dans une backroom ni dans un sauna que je trouverai ce qui me convient : « Il te faut un minet, dit-il, un jeune ingénu déluré ». Il est prêt à s’en occuper, son idée étant d’écrire une petite annonce dans Libération. Alain Pacadis lui a parlé du vent de libération sexuelle qui souffle depuis peu au journal : on y publie des articles sur le « front de libération des pédophiles » et autres fantaisies qui vaudront au journal d’être inculpé pour outrages aux bonnes mœurs. Il n’existe pas de magazine gay en France, seules, cachées au fond des kiosques, des petites revues semi clandestines, avec des photos noir et blanc de garçons nus. La rubrique «Chéri je t'aime» dans Libé devient célèbre pour sa liberté de ton. L’homosexualité y est bien vue. Nous rédigeons donc une annonce : « J’aimerais bien rencontrer un garçon qui me plaise... ». C’est un succès ! Il s’ensuit une cinquantaine de réponses postales, la plupart sans numéro de téléphone. Il faut donc écrire. Les réponses sont assez variées, venant souvent de jeunes gens de province inexpérimentés.

François organise cette affaire de petites annonces comme un spectacle, un divertissement. Dans une autre annonce rédigée pour Marie-Hélène Massé il dit : « Jeune femme ravissante cherche pauvre type pour lui donner des claques ». Elle recevra plus de deux cent réponses, et une demande d’interview dans le Monde. Ravi du succès des petites annonces François projette une grande soirée boulevard Sébastopol où l’on inviterait tous les auteurs des lettres. Ça promet !

Dans le courrier, il trouve une longue lettre dactylographiée qui explique que son auteur n’a jamais eu de relations sexuelles, sauf à quatorze ans avec un professeur qui lui aurait donné une bonne fessée avant de le sodomiser : cela nous paraît relever du fantasme. Il décvouvre aussi la réponse d’un garçon qu’il connaît vaguement et qui habite dans le quartier. Très excité, il organise de ma part un rendez-vous chez lui, sans se faire connaître. Le rendez-vous est prévu à 19h, mais à 18h, n’y tenant plus, il décide que nous leur ferons la surprise d’y arriver en avance. Tout sera parfaitement raté. Sorti plein de savon de la douche, le garçon qui nous accueille est assez gêné et bredouille. Moi, je ne sais que dire. Quant à François, il bavarde... Il ne se passera rien d’un point de vue érotique. François n’a de toute façon aucune envie d’un concurrent dans les pattes et s’arrange pour faire capoter toutes les situations susceptibles de mettre en danger son confort. Étant moi-même plein de contradictions à ce sujet, je le laisse faire, cela m’arrange aussi.

Aujourd‘hui, je dois répondre à Jean-Pierre qui m’a déjà écrit deux fois en joignant une photo où on ne le voit pas vraiment, ce qui m’a plu.

Il ne téléphone pas. Il semble uniquement intéressé par la rédaction de lettres d’amour. Ce n’est pas ce que j’espérais, mais je lui réponds finalement avec plaisir. Voici sa dernière lettre :

« … C’est un peu comme dans Killer d’Yves Navarre, as-tu lu ? Il décrit un milieu (homosexuel, parisien) qui s’en va. Anne vient de partir, elle a lu tes lettres. Hier, nous sommes allés en montagne voir Francine qui travaillait avec moi et tient un refuge. J’ai pensé à tes mots que j’aime. La neige dans un cirque glaciaire, la neige qui ne fond plus forme un tout petit lac avec un petit chenal d’accès, un fond argenté, l’eau pure, pas si froide, j’ai nagé nu, si haut à 2500 mètres d’altitude, deux chamois approchent, puis après, chercher des cailloux dans l’éboulis avec deux enfants, plus bas, le refuge, le café, la fin du printemps. Anne, je lui lis tes lettres, parce que j’aime bien te lire, te voir, elle lit, l’air qu’elle a lorsque que quelque chose lui plaît. Elle dira que c’est, et c’est maintenant le mot du jour, excuse son mot. On parle, eux, elle et moi et toi, elle, lui et toi. Elle dit que tu inventes.

Je ne sais pas, c’est la même chose que tu inventes ou pas c’est joli et j’aime bien, Anne est partie et je t’écris, elle croyait que c’était mon écriture tes enveloppes. Tu sais je suis né (le dernier mot est illisible) 18 juin (Note : moi aussi). Je suis passé devant chez toi, mais pas simple de monter. Prudent ?

En août, je vais au bord de la mer, une location familiale, l’eau, le soleil, les gens demi-nus, une pièce et des livres d’architecture. Et toi ? C’est sûr, je vais en septembre à Paris, où vais-je vivre ? Ma fac est dans le 6e. Quelques jours ici encore, petite ville, amis, la place vide après 22 h... Et si je recevais un mot de toi. Je t’embrasse, ce soir.

Jean-Pierre »

Je vais devoir répondre à ce charmant jeune homme, mais que vais-je bien pouvoir lui dire ? avec sa copine qui prétend que j’invente (je la déteste celle-là), non mais ! De quoi je me mêle ! Elle est juste jalouse ! Encore une fille amoureuse d’un pédé, pourtant je n’ai rien inventé. J’ai même édulcoré. Et l’autre qui fait des manières, passe devant la maison et ne téléphone pas. Ah, les gays de province ! Enfin c’est bien ce que j’ai cherché, mais patience… je t’aurai. Voilà ma troisième lettre, écrite en majuscules sur une photocopie de photomaton. J’en ai gardé une copie.

« Saurai-je un jour autre chose de toi que cette image d’un visage dans le contre-jour d’un couloir de cuisine, qu’un pullover au grand col vert ? Une lumière sur des cheveux blonds en Kodacolor 14 x 9 cm, mat. Il n’y a que le point rouge d’une cigarette - brune ou blonde - dans l’obscurité. Il faut rêver sur la ligne presque invisible d’un sourcil qui se perd dans le sombre. On ne voit que le crépi du mur. Dehors c’est l’été à Saint-Jean de Monts, les familles vont à la plage, sur le béton brûlant, les enfants crient. Il fait encore frais dans la maison de vacances un peu mangée par toutes ces années, un ping-pong dans le garage et du coca dans un grand frigo des années 50. En fait, je n’en sais rien, je sais pas si la photo que tu m’as envoyée est prise à Saint-Jean de Monts, je sais pas si j’irai un jour, je ne suis jamais allé à Saint-Jean de Monts voir un garçon allumant une cigarette le matin.

De toutes façons, je ne saurai jamais rien de plus si tu ne fais pas quelque chose pour me faire signe, je t’envoie de petites images de moi, photocopie Opéra il y a deux jours par un après-midi pluvieux. En reprenant les termes de ta lettre « Je t’espère »... date, signature, téléphone et adresse... »

C’est nul comme lettre, pauvre Marguerite Duras… Enfin cela a l’air de lui avoir plu, ne changeons rien. Un peu de poésie et d’innocence contraste avec les turpitudes de la capitale. Pourquoi pas ? Il faut dire que les photocopies gomment les détails des photomatons, j’ai l’air très bien dessus. Je n’ai pas lu Yves Navarre, dommage, cela a l’air de lui plaire. Je vais plutôt fumer un petit joint, cela me donnera des idées.

C’était une mauvaise idée de fumer cette herbe beaucoup trop forte, je suis maintenant incapable d’écrire quoique ce soit. Mon projet d’un Choderlos de Laclos moderne tombe à l’eau et je suis incapable d’avoir la moindre idée… c’est la page blanche du 10 juin. D’ailleurs, il va falloir que je m’occupe de la liste d’invitations à mon dîner d’anniversaire du 18 à la maison. « C’est n’importe quoi, dit François, on n’invite pas les gens huit jours avant, surtout des punks, ils ont un programme de soirées très rempli. » Si on sortait dîner ?


Andy by Philippe

Copies, répliques, fac-similés, répétitions, imitations et appropriations à propos de l’œuvre d’Andy Warhol et plus particulièrement de cet album de pastiches.

« Tous les arts, d’une manière générale, sont des imitations »

Aristote, La poétique



TEXTE DE PRÉSENTATION DU LIVRE

"ANDY BY PHILIPPE" 2019, rédigée par l'auteur.

Du côté de Warhol: les sources et l’inspiration

Il y a beaucoup d’anecdotes sur l’habitude qu’avait Andy Warhol de demander des conseils et des idées à tout le monde. Warhol déclare en 1970 à Gerard Malanga qu’il tire toujours ses idées des conversations avec les gens. L’idée des boîtes de soupe Campbell’s aurait été suggérée par Muriel Latow, une amie décoratrice, qui lui proposa de peindre « Quelque chose que l’on voit tous les jours et quelque chose que tout le monde peut reconnaître. Quelque chose comme une boîte de soupe ». Warhol lui avait demandé une idée pour distinguer son travail de celui des autres pop artistes comme Roy Lichtenstein avec les bandes dessinées, elle lui aurait demandé cinquante dollars pour une autre idée, il aurait payé tout suite pour s’entendre dire qu’il devait faire des portraits de billets de banque, ce qu’il fit en 1962.

Pour la série des Flowers en 1964 chez Léo Castelli, l’idée venait de Henry Geldzahler, conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York, qui pensait qu’il avait trop traité de sujets morbides et devait faire des choses plus aies. Warhol utilisa une photographie de fleurs d'hibiscus trouvée dans un numéro de 1964 de Modern Photography pour créer ses estampes. Lorsque Patricia Caulfield, photographe de cette image, l’a découvert, elle lui intenta un procès en 1966 pour utilisation non autorisée. On offrit à la photographe deux portefeuilles Flowers en guise de paiement. Cependant, elle déclina l'offre et un règlement en espèces fut arrangé, erreur totale étant donné les prix actuels de ces oeuvres. Gérard Malanga disait : "Andy a réalisé qu'il devait faire très attention à ne pas se faire poursuivre. Il a décidé de commencer à prendre ses propres photographies."

Warhol a toujours assumé ses inspirations plus ou moins personnelles, récupérés ou recyclées, il comprenait très bien les gens qui copiaient ou s’inspiraient de son travail. En signant n’importe quoi il diluait son autorité d’auteur, mais vu d’une autre manière il s’appropriait tout ce que l’on lui proposait, la marque « Warhol » devait hagocyter le monde. J’avais réalisé en 1975 des sérigraphies à sa manière pour une campagne de publicité des cigarettes Winston, lorsque je les lui montrait, il les signa immédiatement et me félicita. Je me souviens l’avoir vu devant les maquettes de futures sérigraphies qu’il réalisait avec des films transparents et des papiers de couleur déchirés, jouer à demander aux visiteurs de choisir des couleurs et des formes, mais finalement c’est lui qui décidait de tout dans les moindres détails. S’il trouvait une idée bonne ou une couleur jolie il les gardait, sinon il faisait semblant d’oublier.

Les faux

Il existe beaucoup de faux, sur l’immensité de l’œuvre c’est normal, certains sont presque vrais, comme ceux faits par les assistants en cachette, d’autres sont de vrais faux. Un des plus fameux est celui de Pontus Hulten, commissaire pour ’exposition de 1968 au Moderna Museet de Stockholm. Warhol avait commandé des centaines de boîtes de Brillo en carton pour «décorer» l’exposition. Ce n’était pas vraiment des oeuvres : en 1964 les boites de Brillo produite à la Factory étaient des caisses de bois peintes et érigraphiées (Warhol ne faisait pas de readymades).

Disparues après l’exposition, elles réapparurent en 1990 pour êtres vendues par Hulten pour le musée. C’étaient des boîtes de bois, et non plus de carton ainsi qu'étaient celles qui avaient été exposées en 1968. On les désigne comme les Stockholm Brillo-box. Le Andy Warhol Authority Board de New York les authentifie. Certaines d'entre elles figurent au catalogue raisonné de l'artiste. Ces boîtes ont été dessinées dans une agence de publicité par un artiste dans le besoin, James Harvey peintre expressionniste abstrait qui ne vendait pas bien ses tableaux. Il avait du talent c’est une belle boîte d’emballage !

Du côté des copies et des appropriations

Visuellement il n’y a aucune différence entre une copie et une appropriation, ce sont toutes les deux des répliques, tout est dans l’intention de l’auteur. L’appropriation en art est une manière de réaction contre la disparition des œuvres originales sous la masse des reproductions techniques qui nous en ont éloignés ; on connaît les peintures par leurs reproductions dans les livres, pas par le contact visuel direct. Ce qui produit du sens c’est l’écart. Dans le cas présent l’écart entre l’œuvre originale et sa copie. Comme en littérature, la réécriture du premier livre de Don Quichotte, à l'identique, par Borges dans son livre Pierre Ménard, auteur du Quichotte devient un autre roman.

Cette école appropriationniste s’est développée au début des années quatre-vingt dans les galeries de l’East Village de New York, encouragée par Warhol lui même qui disait : « On pourrait réaliser des copies de mes œuvres, je ne verrais pas la différence ».

Mike Bidlo est un des artistes de cette tendance. il réalise de nombreuses copies d’œuvres d’artistes célèbres dont Andy Warhol. La signature de Warhol se trouve au bas de ses boîtes de Brillo « not Warhol ». Qu’y a t-il sur le fond ? « Elles sont étiquetées «Not Warhol (Brillo Boxes.1964) 2005 » je dis bien que ce n’est pas du tout un Warhol . Ensuite, elles sont signées et tamponnées avec mon empreinte de main » dit l’artiste qui déclare aussi : « Cela a beaucoup à voir avec Walter Benjamin et «L'œuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanique». Les réponses de Warhol ressemblaient à celles de Benjamin. » Warhol était t-il un matérialiste dialectique marxisant comme Benjamin ? Pas sûr. Le problème de savoir si son œuvre est une critique ou une apologie de la société de consommation américaine était discuté dans les années soixante. Aujourd’hui on sait que Warhol n’était pas du tout de gauche. Pour Jean Baudrillard la dimension critique de Warhol se réduit à de gentilles et inoffensives subversions, à celle d’un sourire cool dont on ne sait pas s’il est de l’ordre de l’humour ou de la complicité commerciale. Le pop art peut apparaître comme une vaste entreprise de recyclage, de citation directe, de plagiat, de reproduction à l’identique. En ce sens, il marque bien la fin d’une certaine peinture, celle qui prétendait se saisir d’un absolu, d’une essence de la Peinture, selon les théories formalistes en vigueur à l’époque. Walter Benjamin dans son livre cité par Mike Bidlo explique que les œuvres issues des techniques de reproduction de masse, notamment par le biais de l'imprimerie, la photographie, accélérés et démultipliés par les processus photomécaniques, chimiques et électriques, ont contribué à la déperdition de l'aura propre d'une œuvre unique, désincarnée par sa reproductibilité. Ce qui se perd dans l'œuvre d'art à l'époque de cette reproductibilité technique, c'est l'aura de l'œuvre, son unicité, son authenticité, sa présence hic et nunc ( ici et maintenant ). L'aura disparaît avec la reproduction technique, mais c'est en même temps l'apparition de celle-ci qui en montre l'absence, qui la révèle. C’est peut-être dans ce sens, celui du vide, de l’absence, de la banalité quotidienne des œuvres de Warhol que l’aura apparaît comme en négatif.

Mike Bidlo a réalisé de nombreux fac-similés des œuvres de Warhol. Une toile de ses Campbell’s Chilli Beef Soup, 50 x 40 cm de 1986 a été vendue 25 000 $ en 2014. Un original Warholien de 1962 vaut dans les 12 millions de dollars.

Elaine Sturtevant est une artiste de la même veine que Mike Bidlo. Mais elle niait être une précurseur des appropriationnistes. Depuis 1965 elle reproduit les œuvres d’autres artistes. Warhol donne l'un de ses écrans de sérigraphie à Sturtevant afin qu'elle produise ses propres versions des Flowers .

La répétition, la réplique et la critique de la notion d’originalité très présentes dans le travail de Sturtevant lui plaisait beaucoup. Elle ne produisait qu’un exemplaire de ses fac-similés. Une réplique des Warhol Flowers signée Sturtevant, réalisée en 1971 (55 cm x 55 cm) a été vendue 278 500 $ en 2012.

Sturtevant défendait l’idée conceptuelle de la répétition, plutôt que celle de l’imitation, « Apportant une espèce de compréhension du pouvoir silencieux de la peinture », selon ses propres termes (assez obscurs). En 2007 elle déclare : « La réplique n’est pas copie, mais pourrait l’être. La réplique pourrait être un double, mais sa similitude nous prendrait en défaut. La réplique ne pourra jamais être répétition, car la répétition, c’est la différence. […] La copie, bien entendu, possède l’absolue beauté de paraître identique à l’original. Mais elle cache aussi de dangereuses lacunes. La technique rigide requise pour fabriquer dans ses moindres détails une copie exacte la prive de sa force ; l’œuvre d’art devient statique, meurt. Il n’y a ni opposition ni confrontation ; elle est incapable d’imposer et de créer une action ».

Elle cite souvent Gilles Deleuze à propos de la théorie développée par le philosophe dans Différence et Répétition en 1969. La répétition chez Deleuze n’est en aucun cas la reproduction du même, mais « puissance de la différence », c’est-à-dire un processus positif qui consiste en la condensation de singularités et non pas en l’alignement de régularités. « Deux gouttes d’eau ne peuvent par essence être identiques ».

Nelson Goodman proclamait en 1976 dans Les Langages de l’art que « La question ardue de savoir pourquoi il existe une différence esthétique entre une contrefaçon parfois réussie et une œuvre originale constitue un défi contre une des prémisses fondamentales dont dépend la fonction même des collectionneurs, musées et historiens d’art ». On dirait qu’il a écrit cette phrase pour elle.


Richard Pettibone lui aussi pratique la citation et la copie d’œuvres depuis 1964, il réalise des répliques miniatures d'œuvres de ses contemporains new-yorkais, fidèle à l'échelle de reproduction des images du magazine Art Forum auquel il avait accès. Il dit en 2015 : « Andy Warhol était sympathique et favorable à mon travail. Il a été la première personne à New York à qui j'ai montré les peintures. Il a pensé qu'elles étaient drôles. Il m'a dit d'aller dans sa galerie voir Leo Castelli, le marchand d'art, qui a également montré mon travail. J'ai vu Andy peut-être trois ou quatre fois ».

Une sérigraphie Vegetable Soup Campbell’s de 1987, édition de 6 ex. (17 x 13 cm ) a été vendue 10 000 $ en 2017. Il existe aussi 6 exemplaires peints à la main.

Tous ces artistes plutôt intellectuels ont étés des lecteurs du critique d’art et philosophe Arthur Danto qui a souvent glosé sur les boîtes de Brillo : dans La transfiguration du banal en 1989 il continue cette analyse théorique en expliquant que la classe des œuvres d’art inclut Boîte Brillo, mais exclut les boîtes de Brillo qui par ailleurs lui ressemblent à tous égards.

« Si l’on n’est pas familier avec la pensée de Danto, on est d’abord un peu perdu. Mais tout s’explique facilement quand on sait que, comme toujours chez Danto, la réflexion est de type binaire : la Boîte Brillo (en romain) appartient à l’art, la boîte Brillo (en italique) est un produit commercial. Or, puisque la différence entre les deux demeure invisible pour l’oeil, il s’ensuit, selon Danto, que l’œuvre d’art n’est pas identifiable par le regard ; par conséquent, il faut passer au plan conceptuel. Brillo Boxes de Warhol est une œuvre, parce qu’« elle accomplit ce que les œuvres d’art ont toujours accompli, c’est-à-dire qu’elle extériorise une manière de voir le monde »....« Les fameuses boîtes Brillo Pad disent que l’œuvre d’art est de l’ordre du concept et non de la chose. Warhol lui a donc révélé l’« essence » de l’art au sens qu’il donne à ce mot, et celle-ci est de type philosophique, non plastique ».

« Le début et la fin de l'art : sur Arthur Danto »

Franc Schuerewegen. (Poétique 2006 n°147).

Il existe aussi des milliers de copies des best of aux « Éditions Sunday B Morning », sérigraphiées sur papier, de bonne qualité, on les trouve sur Ebay à 400 euros en format 1m x 1m signées « Fill in your own signature » au verso.

Les pastiches : Un pastiche (de l'italien pasticcio, « pâté ») est une imitation du style d'un auteur ou artiste qui ne vise pas le plagiat. Il peut parodier ce style mais pas nécessairement ; il existe bien entendu des parodies qui ne sont pas des pastiches.

Si les copies appropriationnistes sont nombreuses du vivant de Warhol, c’est vers le début du siècle actuel qu’un membre notable des Young British Artists Gavin Turk se met à réaliser des sérigraphies pastichant les modèles warholien. En 2011, il refait la série Death and Disaster de 1963, où figurent des accidents de voitures sur des fonds de couleurs vives. Mais là où Warhol avait recyclé des photographies d’accidents mortels pris dans les journaux, Turk utilise un véhicule emblématique : la fourgonnette blanche, symbole d'une certaine classe ouvrière blanche. En 2012 et 2011, il refait les portraits d’Elvis de Warhol (cadrés sur le visage) en plaçant son propre visage à la place de celui du chanteur; superposés ou négatifs. Il avait fait en 2009 des Triple Elvis de 1963 en utilisant des photographies de Sid Vicious le chanteur punk. En 2011, il place son visage à la place de celui du maître dans l’Autoportrait de 1987 avec la perruque en bataille. En 2008, il a exécuté plusieurs Piss Painting, peintures d'oxydation d'Andy Warhol de 1978. Cette série d'œuvres est née d’une performance à la galerie Riflemaker de Londres lors de l’exposition Me as Him en 1997, lors de laquelle des sérigraphies représentant des artistes comme Warhol étaient exposées. Au cours de la soirée, les visiteurs étaient invités à uriner sur un ensemble de toiles préparées dans le cadre d’un exercice collectif.


Il avait peint en 2008, A dance diagram inspiré de celui de 1962 mais peint sur une planche de surf. En 2009, il réalise un pastiche au sens strict, c’est à dire un dessin original dans le style de Warhol, un portrait de l’artiste réalisé à partir d’une photo. C’est une création « à la manière de », il s’inspire des dessins au trait des années 1950. En 2004, il produit des Che Guevara de 1968 avec son visage sous la coiffure et le béret du Che, négatifs ou polychromes ainsi que des Joseph Beuys, de 1980, qui sont aussi à son effigie. En 1997, il avait commencé par barbouiller de vernis et peinture des pages de catalogues Warhol comme les Big Electric Chair de 1962 ou les Mao de 1972. Il produit des éditions à 50 ou 100 exemplaires. Un Che Guevara de 2004 est vendu 37 000 £ en 2013, une oxydation ( Piss painting ) Octopiss de 2008 estimée entre 20 000 et 30 000 £ en 2019. Banksy a lui aussi fait des pastiches de Warhol en 2010 en plaçant le visage de Kate Moss à la place de celui des célèbres Marylin. Ils sont estimés autour de 35 000 euros.

Il existe aussi des milliers de pastiches anonymes non-artistiques comme des housses de couette, mugs, tasses et torchons figurant des petits chats ou des bébés à la manière de Warhol.

Mes pastiches

Le pastiche est avant tout un genre littéraire avant d’être appliqué à d’autres arts. Il existe des règles connues. On signale au lecteur qu’il s’agit bien d’un jeu d’imitation et qu’on ni l’intention de voler l’œuvre, comme le fait le plagiaire, ni de voler la signature comme le fait le faussaire. De fait, le pasticheur appose à son oeuvre de pure imitation sa propre signature dans la mention « à la manière de ». Le pasticheur n’est pas un tricheur, mais un joueur. Le « protocole » est donc de faire des peintures à la manière d’Andy Warhol, qu’il aurait pu faire mais qu’il n’a pas faites. La technique de référence est celle des années 70/72 avec des fonds peints de matières assez empâtées sous la sérigraphie ( Les Mao ). Mes images sont entièrement numériques et utilisent un vernis sélectif 3d pour simuler la sérigraphie. Elles sont originales et n’existent que sous cette forme.

Un photomaton avec Andy : Warhol c’est servi de photomatons, avant d’utiliser le Polaroïd pour faire ses portraits sérigraphiés des années 60, notamment un autoportrait de quatre photomatons avec leur bordure noire très reconnaissable, sur fonds bleus de 1963. Il a laissé de nombreux photomatons de lui avec ses amis. Il y a deux bandes de « Photobooth » de 1963 dans la collection du M.E.T..

Gauloise disque bleu, Caporal, Boutfiltre :

Warhol a réalisé des images de nombreux emballages commerciaux, mais une seule série avec un paquet de cigarette : Muratti Ambassador cigarettes en 1984. Ce paquet de Gauloise était en vente à Paris lorsque il y venait.

Une chaise de Roger Landault (1953) : À part ses chaises électriques ( Electric Chair ) de 1968, Warhol n’a pas représenté de chaises, mais Il adorait aller chez les antiquaires et collectionnait les meubles art déco puis Early american.

Andy’s Warhol signature : Une signature de Warhol n’est pas la signature d’une œuvre, c’est

un simple autographe. Il adorait signer. Comme un animal qui marque son territoire, il a signé des milliers de tickets, livres, vêtements, journaux, bras et chiens. Il existe un marché des signatures Warhol, ce n’est pas très cher ( par rapport aux véritables œuvres historiques) car il y en a des masses incroyables. ( 2 000 euros en 2012 pour une signature format A4 de 1976). La référence choisie pour cette série est celle des Dollar Sign de 1981. Sa signature est devenue une œuvre. C’est une idée qui lui aurait plu !

Un chat nommé Ozu : Warhol a réalisé de nombreux dessins de chats en 1954 durant sa carrière d’illustrateur, puis il a fait une série Cats & Dogs (Broadway) en 1981 avec des portraits de son chat siamois. Ozu est mon chat Bengal

80 ' "Jeu de société pour un paquet de Winston vide"

TEXRES DE PRÉSENTATION POUR LE LIVRE 80' (2016)

par un groupe d'auteurs et

Jean-Clet Martin : L’illustration est un art à part entière

Klaus Speidel : Toucher le fond de la peinture

Nous avons demandé à quelques amis de participer à un petit « jeu de société » : choisir parmi les illustrations présentées dans ce coffret la plus intéressante à leurs yeux, et éventuellement de donner en quelques lignes les raisons de leur choix. Voici les résultats de cette enquête. C’est l’illustration n°40, Paquet de Winston vide (une annonce publicitaire refusée par le client à l’époque), qui remporte le plus rand nombre de suffrages. Le n°18, Autoportrait dans la galerie (la couverture de cet ouvrage) remporte la deuxième place. La troisième place est pour le n°3, Le général de Gaulle en Perfecto et la quatrième place pour le n°4, Champs Disques.

Nous publions ci-dessous la liste par ordre alphabétique et les textes de la plupart des personnes qui ont bien voulu jouer avec nous. Nous les remercions infiniment pour leur participation et la pertinence de leurs commentaires

Alexandra d’Albis de Waresquiel et Emmanuel de Waresquiel : n°40, Paquet de Winston vide. « Avec ces paquets-là, au temps des belles américaines, la fumée était bleue comme les rêves et la nuit. »

Paul Ardenne : n°40, Paquet de Winston vide. « L’humain s’élabore dans ses passions, il en attend de se hisser jusqu’à cette transparence parfaite de l’être que favorise l’assouvissement. Le vide est l’expression que la consommation a eu lieu. On est tous fascinés par le vide. Disons, par un certain vide qui nous fait faire le plein. »

François-Marie Banier : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto. « De Gaulle. Je lui avais écrit a pour sa prostate. Pour sa Prostate… j’étais ni pour ni contre. Il m’avait répondu. J’ai encore sa lettre. Neuvième tiroir du buffet en partant de la gauche. Elle doit sentir à la fois le raisin et les poêlées de bolets à l’ail. Le petit garçon l’avait touché, pas sa prostate mais son grand coeur, un coup pour l’Algérie française, un coup pour l’autodétermination. Mot rêvé pour un gosse d’onze ans collectionneur de Dinky, surtout les Talbot-Lago, la Baby Lago, ça dit encore à Trintignant. Je connaissais bien l’inventeur, le constructeur des Lago. Tony. Il avait tiré à Pamfou, sa propriété de Seine-et-Marne, sur papa. Manque de bol il l’avait raté, ça m’aurait évité quelques mitrailles de baffes et de coups de pied au cul bien qu’on n’en reçoive jamais assez. Quoi d’autre vous fait avancer ? Marguerite Lago fut mon premier amour. J’en parle dans les Résidences secondaires, mon premier roman. Je l’y fais même mourir entre deux pages. Comme ça, si j’ai pas pu la garder pour moi tout seul petit garçon, homme, sorte d ’homme, je l’ai à vie pour moi et pour qui veut entre deux pages dans un fossé morte au volant de sa Lago. À Pamfou, devant le cake de leurs five o’clock, Pierino Manusardi, l’homme d’affaires de Lago, voulait m’emmener devant de Gaulle. Qu’il me voie. À cause de ma grosse voix, e disai-je, et le goût pour le rire et le respect pour qui a des ailes. Le général les bras écartés au-dessus de sa tête, Tante Yvonne lui disant le matin dans leur salon qui sentait le fromage : Charles, reste comme ça, et pelote de laine tendue d’un poignet à l’autre du général, sa femme, comme toute tricoteuse qui se respecte, faisait sa pelote. On se détendait comme on pouvait du temps des DS. »

Diane de Beauvau-Craon : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto. « Ce portrait du général de Gaulle m’inspire deux réflexions. La première : la dignité et la grandeur de la France. Il était visionnaire et moderne. La deuxième est une necdote personnelle. Enfant, je me retrouve sur ses genoux (c’était un ami de mon père) à jouer : " À dada sur mon cheval blanc, youp la boum...! " (on assoit l’enfant sur ses genoux en les bougeant de manière à lui donner l’impression de le faire galoper sur un cheval). Cela reste pour moi un souvenir grandiose à la hauteur de sa stature... »

Martin Béthenod : n°23, Patrick Dewaere, La meilleure façon de marcher.

Jean-Pierre Biron : n°21, Gilles à La Baule.

Christophe Bolloré : n°2, Champs disques.

Mattia Bonetti : n°1, Adeline André en rose. « A.A. comme Adeline André, alors déjà une muse, une inspiratrice inspirée, et ce ne fut qu’un début, plein de promesses maintenues, toujours ntègres et sans compromis. »

Pierre de Bonneville : n°18, Autoportrait dans la galerie. « Le visuel 18... parce que 1 et 8 = 80’. Mais aussi parce que ce Philippe qui voit passer ce qu’on peut penser être une beauté, est bien élevé, bien poli, le cou serré dans sa jolie cravate. Il se emande si on peut l’inviter, s’il doit rester là, en attendant qu’on l’invite. Il voit passer le monde, il voit passer la vie... »

Georgina Brandolini d’Adda : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto et n°2 : Champs Disques. « De Gaulle. L’emblème de la France. »

François de La Brosse : n°38, Brian on the beach.

François Buot : n°22, La piscine des Bains Douches. « Nos golden eighties... Piscine bleu nuit, carreaux Putman, costume Mugler et pyramide très mitterrandienne. »

Oualid de Burgh : n°18, Autoportrait dans la galerie.

Patrice Calmettes : n°38, Brian on the beach et n°36, Portrait mondain : Sao Schlumberger, Thierry Berherman, Miguel de Jongh, Alain Larivière et l’artiste. « J’ai choisi ce dessin que j’ai acheté à l’époque et que je conserve encore aujourd’hui, et aussi le portrait de mes amis autour de Sao Schlumberger qui me rappelle tellement de souvenirs. »

Jean-Charles de Castelbajac : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto. « J’ai adoré cette image dès que tu l’as dessinée, je suppose qu’elle me ramène à mes trois grandes passions : l’histoire, les motos et le rock’n’roll. J’aime la force créative de l’accident, du choc des contraires et la virtuosité narrative de ton style. »

Victoire de Castellane : n°2, Champs Disques. « C’est ma jeunesse, les disques qui volent comme des soucoupes annonçant au premier degré la promesse de la fête tant attendue un samedi soir sur les Champs-Élysées, l’idée que je me faisais dans la semaine que tout allait être possible le week-end. »

Betty Catroux : n°40, Paquet de Winston vide. « Gros coup de foudre pour cette image, quelle pureté, une œuvre d’art. »

Pierre Commoy : n°14, Gomina.

­Vincent Darré : n°30, Paquita sur le trottoir. « Paquita m’a découvert un jour d’été 1977 dans une boutique de la rue du Dragon. Je connaissais déjà Eva Ionesco, Christian Louboutin, Justine Roy, Olivia Putman et Farida Khelfa. Elle m’invita le soir même à une fête. Arrivant avec toute la bande, elle nous surnomma la new wave ! S’ouvrit alors pour nous un Paris de brillants noctambules où nos vêtements, plutôt nos déguisements, nous firent remarquer et tout de suite adopter par l’autre génération déjà marquée par un univers graphique bien précis Dominique Gangloff, Pierre et Gilles, Philippe Morillon... Ainsi que l’avait prédit Andy Warhol dont Philippe était l’ambassadeur parisien, nos vies de lucioles ne devaient durer que le temps d’un ou deux flashs. Devant ceux-ci, nous posions comme Simon Bocanegra nous l’avait appris, singeant les poses de Richard Avedon. Le jour, insaisissables de notre image, nous courions les photomatons, tels un casting sauvage et scandaleux, pour inspirer les artistes qui nous entouraient, espérant désespérément être immortalisés dans une de leurs fluorescentes peintures hyperréalistes. Les flashs ont disparu mais les couleurs restent ! »

Alain Demachy : n°18, Autoportrait dans la galerie. « Je le trouve très drôle. »

Jean-Pierre Dionnet : n°18, Autoportrait dans la galerie. « Un rallye ou tu n’es pas, qu’est-ce que je fais là ?. Norman Rockwell. Tu fais tapisserie, Où vas-tu après ?. La déco à gauche est bien ; ajoutée ? Un artiste tombé du bocal : personne ne t’entendra crier/Munch.»

Arielle Dombasle : n°2, Champs disques. « ­Mes premiers disques d’or. J’ai été couronnée au Cercle de l’Étoile. Inoubliable. Grand frisson face à l’Arc de Triomphe. Image symbolique pour moi de Philippe Morillon ! Présage du Paris qui brille, swing et danse. Jour et Nuit. Gloire au vinyle dont c’est le grand come-back».

Françis Dorleans : n°40, Paquet de Winston vide «Choisir cette fragile enveloppe de cellophane pour clore une série de dessins sur l’énergie des années 80 n’est certainement pas innocent. Devant cette fragilité comment ne pas s’interroger sur la fuite du temps et le tourbillon des jours qui nous laissent désemparés et incrédules comme après le passage d’un cyclone ? On ne reconnaît plus rien et on hésite à mettre un nom sur des visages qui nous étaient pourtant familiers. Chaque génération croit refaire le monde, avant d’être emportée à son tour. Même les disques vinyles (Illustration n°2) qui pleuvent comme des soucoupes volantes sur les Champs-Élysée accusent cette impression d’une catastrophe naturelle qui aurait eu lieu sans qu’on en garde un souvenir précis. Dans une autre et célèbre illustration (célèbre pour ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire), Morillon avait déjà fait œuvre de visionnaire en dessinant le rideau de scène du Palace se découpant sur un ciel bleu comme les ruines d’un temple antique à l’abandon. Qu’on le veuille ou nom, le Palace reste le plus pratique des repaires. Repaire dans le temps comme il a été le repaire de cette jeunesse branchée. Sur ces princes de la jeunesse, d’autres avant moi (et mieux que moi) ont écrit ce qu’il fallait penser de l’opportunité d’être du même âge que son temps. «C’est toujours une belle chose d’avoir vingt ans, c’est une chose doublement belle et heureuse des les avoir au commencement d’une époque, de se trouver du même âge que son temps… », écrit Sainte Beuve, à propos du comte de Ségur, dans un de ses Portraits Littéraires, avant de poursuivre en expliquant : «On avait là devant soi quinze année à courir d’une vive, éblouissante et fabuleuse jeunesse.» Autrement dit la vie devant soi. Avec le recul, rien n’est plus éphémère que la vie devant soi. C’est à tout cela que m’a fait penser ce paquet de cellophane qui semble sur le point de s’évaporer, de fondre ou d’être englouti. On a déjà cité Sainte Beuve, on laissera le mot de la fin à Chateaubriand : «Les souvenirs surnagent, l’oubli est au fond de tout.»




Thomas Doustaly : n°31, Le garçon du parking.

Inès de la Fressange : n°9, ...D’après flandrin. «J’aime cette illustration car on voit que même un corps passe de mode suivant l’illustration qui l’a reproduit. Ce qui est d’avant-garde devient classique mais même notre vision du classique est touchée par la mode, on n’y échappe pas… Et puis c’était le numéro 9, irrésistible, toujours neuf et tourné devenu 6, 6 & 9 : tout un programme…»

Rose de Ganay : n°25, Levi’s 1.

Tristan Garcia : n°40, Paquet de Winston vide et n°13, Gilles dans le tapis. « Dans les deux cas, c’est la mince pellicule de l’époque qui m’apparaît, une fois que le temps et le contenu ont fui. Il reste un aplat de couleur, et une solitude excentrée, qui semble se souvenir par avance d’années formidables et enfuies ; il reste du paquet de cigarettes une fois fumées, comme de la vie une fois vécue, l’emballage translucide qui conserve la forme du vide. Je trouve les deux images très belles et mélancoliques : le garçon paraît sur le point de sortir de l’image dans la première et dans la seconde, il n’y a plus qu’un objet, ou l’étui de l’objet, pour rester témoin. »

Michel Gaubert : n°16, Hervé pythagoricien.

Isabel Goldsmith : « Je préfère tes photos. »

Jacques Grange : n°35, Serge Kruger en chauffeur.

Laurent Grasso : n°19, Patrick Juvet.

Véronique de La Hougue : n°10, L’autocar du desert.

Djemila Khelfa : n°31, Le garçon du parking. « Le parking à ciel ouvert. L’air rock mais mélancolique du garçon, beau et buté. La gaîté clownesque du tableau surréa iste. À droite, une femme, une farce à laquelle le garçon ne sourit même pas. Il regarde ailleurs, parce qu’il aime les garçons. »

Thierry Leviez : n°40, Paquet de Winston vide. « Une sorte de négatif d’un objet, c’est très sculptural. »

Bernard-Henri Lévy : n°30, Paquita sur le trottoir et n°37, Trocadéro : Marie France, Bibiche et moi.

Thomas Lévy-Lasne : n°18, Autoportrait dans la galerie. « Parce que les artistes sont ceux qui restent assis dans leur coin. J’aime beaucoup la gestion poétique du hors-champ également. »

Simon Liberati : n°35, Serge Kruger en chauffeur. « S.K. était un homme à femmes et un esthète. Je me souviens de sa Thunderbird blanche à toit transparent, souvent garée rue de Palestro au niveau du passage du Grand Cerf. Je me souviens aussi qu’il avait invité mon amie Marceline à dîner à la Coupole de homard et de Schweppes. Je me suis servi de ça dans un livre, je ne sais plus où. Je l’ai retrouvé il y a deux ans au moment de la mort d’Edwige, à Bordeaux, inchangé. Il parlait toujours de sa vie comme d’une performance. Le public réduit d’autrefois n’avait pas besoin d’être plus nombreux, il se contentait de sa maîtrise et de son plaisir. »

Caroline Loeb : n°40, Paquet de Winston vide.

Christian Louboutin : n°29, Night and day, n°30, Paquita sur le trottoir et n°37, Trocadéro: Marie France, Bibiche et moi.

Ghislain Mollet-Viéville : n°18, Autoportrait dans la galerie. « C’est l’image que je préfère parce qu’elle est particulièrement symptomatique de l’idée qui m’est chère, à savoir qu’une pratique artistique peut être associée à un certain mode de vie et de ce point de vue là, j’aime l’interpréter dans le cadre d’un art relationnel qui révèle un contexte social plutôt qu’un sujet autonome et privé. C’est évidemment la société du spectacle que tu nous dévoiles ici avec une de ses figures qui me paraît être, pour toi, la meilleure façon de te présenter toi-même. »

Camille Muller : n°23, Patrick Dewaere, La meilleure façon de marcher.

Martin d’Orgeval : n°40, Paquet de Winston vide. « Je revois le paquet de cigarettes de ma mère lorsque j’étais enfant. Je revois sa pellicule transparente qui à la fois le protégeait et me le rendait si attirant. Je revois la souplesse et la finesse de cette membrane épousant parfaitement la forme du paquet. Je revois sa fragilité, sa brillance, sa faible ondulation sous la lumière. Je revois le fin ruban rouge qui l’encerclait et que je déroulais en tirant pour libérer la boîte neuve. Je revois l’écrin vide quand je la glissais hors de ce fourreau afin d’admirer dans l’espace sa géométrie presque liquide. Je revois en ses bouts ses plis en triangle comme ceux des enveloppes qui recèlent des secrets. Je revois sa surface se creusant sous mes doigts comme une peau souple et sensuelle. Je revois les coins pointus que les arêtes reliaient telles les lignes d’un zodiaque imaginaire. Je revois les éclats de lumière et les reflets au fond de cette sphère céleste. Je revois cette forme légère, silencieuse et vulnérable qui m’emportait dans ma rêverie loin des bruits alentour. Je revois ma mère de sa main me touchant et tendrement disant mon nom. Je revois ce paquet de cigarettes qui fait qu’elle n’est plus là. »


Marie Ottavi : n°11, Gilles dans un fauteuil.

Paquita Paquin : n°12, Gilles aux talons aiguilles.« Je choisis de parler de l’illustration n°12 sans doute pour révéler le mystère des protagonistes de cette image. Gilles Blanchard, dont l’auteur du dessin était très amoureux et qui n’avait pas encore rencontré Pierre Commoy ni formé le fameux duo Pierre et Gilles, est le modèle du garçon. Comme le souligne la ligne qui serpente de la pointe du talon et s’enroule autour de son visage, le sujet est en proie à un envoûtement. L’objet de cet envoûtement pourrait être la magnifique paire de talons " Ernest " de 12 cm que je porte sur mes bas couture (ces jambes sont les miennes), eh bien ! Pas du tout ! Le regard se porte beaucoup plus haut, hors-champ et plutôt donc à la hauteur du porte-jarretelles. Ce regard halluciné exprime l’émerveillement alors que la bouche légèrement boudeuse tempère cette impression de ravissement. Voilà qui introduit le doute. Le mystère se joue en surplomb comme l’apparition de la Vierge dans la grotte de Lourdes, mais cette Bernadette Soubirous-là ne croit pas au miracle. Plus prosaïquement, ce qui me frappe dans cette série, ce sont tous les amis qui ont servi de modèle, la bande qui gravitait autour du 127 boulevard Sébastopol où j’ai longuement habité avec Gilles Blanchard, Dominique Gangloff, Hervé Hurpy, Yves Adrien, François Wimille, Marie-Hélène Massé. À la suite de Morillon et Gangloff, certains de ces amis versant dans l’hyperréalisme qui, à vingt ans, passaient leur journée un aérographe à la main, dessinant du plus réel que réel. Alors forcément, nous qui habitions les lieux avec les ravissants voisins du dessous, nous nous prenions pour de véitables Kiki de Montparnasse du boulevard Sébaste, servant à la fois de muses et de modèles. »

Jacques Parnel : n°40, Paquet de Winston vide.

« Avec cette absence de paquet dans la lumière et la transparence de la cellophane. »

Pierre Passebon : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto.

Emmanuel Perrotin: n°40, Paquet de Winston vide. « À une époque où l’on ne prend qu’un millième de seconde pour jauger une image par nos habitudes de consommation des réseaux sociaux, on n’a guère le temps de s’interroger. Pourquoi j’aime celle-ci ? Clairement elle tranche avec les autres. Le sentiment de l’absence de quelque chose qui personne ne m’a jamais manqué. »

Jean Pigozzi : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto.

Thaddaeus Ropac : n°40, Paquet de Winston vide. « Cette œuvre est une représentation singulière du vide. Elle évoque à la fois la vacuité et la notion de perte. »

Bernard Ruiz-Picasso : n°5, Éram danse 1. « Post punk disco trash glamour Paris/NYC Radio libre La Main bleue/Le Palace. »

Cédric Saint André Perrin : n°40, Paquet de Winston vide et n°8, Éram rue de Rivoli.

Violeta Sanchez : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto.« Ce dessin traduit bien l’insolence, la gaîté sympathique, gouailleuse et déjà un peu désespérée de ce moment dans le temps. »

Henri Seydoux : n°18, Autoportrait dans la galerie.

Claudine Tiercelin : n°40, Paquet de Winston vide.

Elie Top : n°40, Paquet de Winston vide.

Mathieu Vidard : n°34, Ricqlès vert. « Plongée dans la fraîcheur des années 80’. Le goût mentholé de l’image se diffuse dans ma bouche, comme l’entrée dans la machine à remonter le temps, balayée par le bli­zzard de la fête. »

Nicole Wisniak : n°3, Le général de Gaulle en Perfecto. « Je vote pour le général de Gaulle, pour le sujet, pour le costume et pour l’humour. »


Jean-Clet Martin : L’illustration est un art à part entière

« L’illustration est un art à part entière, même si cette activité passe pour un genre mineur. Il serait inexact de confondre l’illustration avec la simple volonté de représenter ou encore d’agrémenter. Illustrer n’est pas rendre compte, ni même donner un aperçu de ce qui se décline au niveau d’un récit, d’un événement à faire connaître. C’est bien l’inverse qui se produit. L’illustration ne constitue pas seulement, à travers son grain propre, le reportage de ce qui autrement passerait inaperçu. Certes, elle peut satisfaire souvent un éclairage publicitaire, à destination commerciale. Mais, l’étymologie du mot nous apprend que l’illustration produit davantage le " lustre " de l’objet qu’elle rehausse. Elle confère du brillant à ce qu’elle capte comme un objet devenu tout autre, un objet très surprenant sous son regard. Les illustrations de Philippe Morillon s’inscrivent bien dans cette forme de surbrillance. Elles produisent une espèce de flash qui ne vient pas seulement éclairer une scène mais l’isoler et lui donner une forme instantanée.

Il en va ainsi de ces cactus géants, dressés vers le ciel, que la lumière artificielle crée comme des objets illustres, presque irréels (Illustration n°10). Dans une nuit sauvage, la saisie en image leur prête une espèce de densité sans égal, une patine surréelle comme issue des phares d’une voiture. Une affaire de vitesse, un virage qui révèle soudainement un plan étrange. Et tout retombe dans la nuit, avec l’impression de laisser derrière soi un moment de rêve, une rencontre insolite, unique. Cette manière d’illustrer avait connu au XIXe siècle une importance capitale en transformant le monde entier en noir et blanc, notamment à travers la lithographie. Souvent la lithographie est faite par la superposition errée de traits noirs, très minces, sur fond blanc : un tissu, un balayage du réel, un dispositif qui se retrouve curieusement pour les premiers écrans télévisuels composés de tubes cathodiques, de lignes fines, papillonnantes. Des traits qui donnent à l’image un pouvoir d’abstraction, de la situation.

Cette forme d’abstraction traverse l’histoire de l’illustration de Doré à Riou en créant des régions tout à fait extraordinaires, introduisant dans le réel des formes aussi vraies que nature, des entités parfaites mais inexistantes. Les illustrations, les affiches publicitaires de Philippe Morillon sont des procédés évidemment fort différents mais créent des déréalisations analogues, purement coloristes, même quand il est fait usage du noir et blanc. Coloristes au sens d’une couleur pure, pour des ambiances hyperréalistes ou psychédéliques proches du pop art. La couleur réalise l’inexistant. Elle colore ce qui n’a pas de chair, met au monde ce qui est sans monde. D’où un sentiment d’une réalité parfaitement probante, vraisemblable, inquiétante en raison de cette vérité. C’est ce que Philippe Morillon donne à sentir, de manière froide, anesthésique, avec l’exposition d’un paquet de cigarettes qui manque, qui laisse voir son absence dérangeante. Ne reste que la cellophane, parfaitement transparente, avec le fil de son ouverture, le vide qui l’a fendue et déballée, posée en dehors de toute présence. N’insiste peut-être rien que le lieu cristallin sur fond blanc. Évaporation, disparition vers l’inoccupé, comme pour nous introduire dans une région métaphysique (Illustration n°40).

Toutes les images de Philippe Morillon nous font glisser dans cette césure. Elles nous poussent vers le côté de la chose disparue, évanouie. Elles illustrent ce qui n’est pas. Elles traversent une faille, une limite qui pose le réel sur la pointe où il se brise, déborde, nous entraîne vers son lieu de dissolution. C’est déjà le cas du corps qui est coupé en deux, comme une carte à jouer, avec un côté plein, un autre décoloré, les deux parts étant ajustées par un faux raccord (Illustration n°9). Toujours on se voit installé sur une limite : une frontière qui nous ouvre la porte du non-être devant ce qui vient de se retirer, sur la pointe des pieds, chaussures à talons pour basculer sur un terrain pur. Nous voici sur une chaise dont les pieds sont posés sur un bord, chacun dans un autre monde, avec un carré à la Francis Bacon, un tapis délimitant une zone d’affrontement, un ring de couleur pure et qui nous menace de dissipation (Illustration n°13). Mais à la différence de Bacon qui tord les figures, tout est ici laissé intact, modeste, les motifs de l’illustration basculant du côté figé, celui de la disparition. Une région calme comme cette salle de statues, avec un calice sans contenu, un monde de pierres et de têtes minéralisées, fait de bric et de broc (Illustration n°21).

Le réel est ainsi éprouvé par Philippe Morillon à travers une doublure qui le vide de toute substance, qui le situe dans la pureté d’un paysage détrempé, aspiré comme en un cercle noir (Illustration n°12). Se déploie un étrange miroir, parodiant Manet, un miroir qui emplit toute l’image et en prend la place, plus clair, plus pur, avec des cheveux qui n’ont plus de vent, fixés pour toujours dans le formol du vrai, le plus trivial cependant : un café, un bistrot, une devanture (Illustration n°14). Ce qui donc est « devant » mais en nous proposant une autre façade, appelant les figures à connaître un instant immobile. C’est encore le régime de la chaise vide qui cerne la place de celui qui est parti, comme le paquet de cigarettes laisse derrière lui son emballage (Illustration n°18). Au bord de cette absence, sur le fil du « rien » qui vient absorber le réel, subsistent de pures enveloppes, des ectoplasmes convaincants, plus sûrs que nature.

Aussi, ce qui reste de Philippe Morillon ce ne sont pas seulement des reliques, mais toutes les figures passées de l’autre côté, surprises par un flash qui leur donne l’évidence claire et distincte de ce qui, n’étant plus, surexiste pourtant dans un tableau, dans une région cristalline, comme feraient des spectres. Vitrine de boîtes, d’images disparues, de passants, de passagers… Des faces cachées (Illustration n°11), des figures vidées de leurs traits, des figures dont ne reste que le cerne. Alors Philippe Morillon nous entraîne dans son imagerie personnelle, avec une allure un peu SF, science-fiction illustrée selon des agréments qu’on ne fait plus aujourd’hui, pas plus qu’on ne reproduit les lithographies du XIXe. Il s’agit donc toujours du bain d’une époque, ici, celle des années 80. Affaire de style : une piscine, un carrelage déformé, version op art (Illustration n°22)… Ne subsistent ainsi que les vagues avec ici Pythagore en manteau de bain ou en drap de lit et là un cosmonaute dont la visière transparente est plus dure que le visage. Le visage est finalement sans aura propre. Il disparaît dans son linceul plissé. C’est son destin (Illustration n°21). Et tout art est une plongée dans un moment évanescent dont on peut déplorer qu’il ne soit plus. Mais évaporé, il trouve quelque part sa trace, sa forme vacante, l’empaquetage transparent, le fil rouge qui lui ouvre la passe vers une réalité augmentée, enrichie par sa propre annulation. »


Klaus Speidel : Toucher le fond de la peinture


À propos de l’illustration n°5 Éram danse 1

Une illustration publicitaire, des sourcils bien dessinés, une fille qui sait comment être belle en photo et en peinture. Mais aussi un traité visuel d’absorbement et de théâtralité. Lui la regarde, elle se montre à nous l’air indifférent. Avec le spectateur, les regards circulent, le triangle est parfait. Difficile de connaître l’objet de cette pub sans le texte et la marque. Une école de danse ? Une comédie musicale ? Non, il faudra attendre 2013 pour qu’Éram en produise une. En 1975, c’était juste une pub pour des chaussures où elles ne sont qu’un détail de l’image. Le slogan est volontairement ambigu: " On peut se permettre d’être gai, quand on n’est pas cher. " Deux interprétations littérales sont possibles : c’est Éram qui n’est pas cher. Mais alors c’est Éram qui est gai – et qu’est-ce qu’on en a à foutre ? – Ou alors ce sont les danseurs qui sont gais, alors ce sont eux qui ne sont pas chers. Si l’interprétation peut paraître choquante, on doit, bien sûr, comprendre la phrase ainsi : " On [la clientèle] peut se permettre d’être gaie, quand on [Éram] n’est pas cher. " En somme le " on " change de référence du début de phrase à la fin. Pourtant de gaîté, on n’en voit pas beaucoup chez nos deux danseurs. Elle n’en a que les gestes et le déséquilibre. Lui, on devine son sourire sans le voir. C’est (encore) l’époque où le pop art règne et avec lui, le second et troisième degré. Il ne fallait pas être trop enthousiaste. Warhol célèbre l’ennui autant que Godard. Même quand on se fait piper comme l’acteur de Blow Job de Warhol, on ne jouit pas – ou à peine. Et ici on ne parle que de chaussures.

C’est une peinture assez plate avec un personnage presque de front, un autre de côté. Elle ressemble un peu à ce que faisait Hockney à l’époque. Les diagrammes de danse en bas du mur n’en sont pas vraiment. Impossible de faire un pas à partir d’eux. La flèche rouge qui les entoure, c’est du style pur. Simulacres de graphiques, ils font penser à Andy Warhol ou à Keith Haring, même si Philippe Morillon n’imite ni le système de l’un, ni le style de l’autre. Si le pop art est fasciné par la publicité, la pub le lui a bien rendu.


Paradoxalement, les petits bonshommes dessinés au trait dansent plus qu’ils ne symbolisent la danse et se meuvent même davantage que les personnages naturalistes. Les traits de pinceau qui tournent autour des danseurs peints, ce sont les Brushstrokes de Roy Lichtenstein, eux-mêmes ironisant ceux de l’expressionnisme abstrait à la Pollock. Mais, cela ne s’exclut pas, ce sont aussi les lignes de mouvement des bandes dessinées. Malgré leur caractère artificiel et emblématique, ils soulignent bien l’action. Ce sont eux qui animent ces gens qui prennent la pose. D’ailleurs, le dispositif est à nouveau en vogue : à l’ère du tout numérique, le trait de pinceau apparaît dès qu’il faut donner de l’énergie à une image fixe. Que ce soit Desigual, Sony Music, le film Kingsman ou les boissons Balmers et Desperados, tous utilisent le trait de pinceau feint pour donner un surplus de vie à leurs produits et services. Dans notre exemple, la danse est alors représentée de manière triple : par les diagrammes qui (ne) disent (pas vraiment) comment danser, par les danseurs qui ne dansent pas et par la représentation des traits de pinceau, qui, eux, dansent d’autant plus que certains se tortillent dans la troisième dimension (dont ils contribuent du même coup à créer l’illusion).

En spatialisant le trait, Morillon reproduit ainsi le pied de nez que lançait Lichtenstein à Clement Greenberg, critique tout-puissant qui voulait faire de la planéité le paradigme de la peinture. Mais même sans la théorie moderniste de la peinture, l’enjeu apparaît si on regarde bien : le trait rouge, qui crée l’espace en le prenant, contraste avec la peinture grise sagement posée en haut du mur ; le vert, lui, couvre toute la distance entre le fond peint et la surface de l’image. Au niveau de l’épaule du danseur, il touche à l’espace du spectateur, tout en bas, il touche le mur et donc la toile.

En somme, cette illustration réfléchit toute seule à la représentation. Ancrée dans un réseau complexe de références, critiques et ironisantes, elle fait figure de traité visuel du visuel. »


Andy Warhol :

La chronique parisienne des années 80'

PRÉFACE POUR LE LIVRE " ULTRA LUX"

éditions Colona 1982

Andy n'avait dit : " Tu n'as qu'à écrire ce que tu veux dans la préface, moi je la signe et c'est bon, c'est une vraie préface par Andy Warhol" alors j'ai écrit cette préface avec un copain....



A -J'aime les images de Philippe Morillon parce qu'elles ne sont pas abstraites, cubistes, minimalistes, pointillistes, surréalistes, hyperréalistes ni affairistes.

B - Elles seraient plutôt néo-classiques ou post-modernes.

A - Ni l'un ni l'autre, mais de tous temps, les avant-gardistes se sont retournés vers le classicisme grec. Ce fut le cas en France au 17e siècle avec Poussin et au 19e siècle avec David et Ingres...



B - La France n'est jamais grande quand elle est baroque.

A - Philippe utilise des clichés et j'adore les clichés. Il choisit des clichés traditionnels mais il les met en scène de façon moderne. Certaines de ses peintures me font penser aux Propylées que l'on va envelopper dans du polyester pour les protéger éternellement...

B - Quel que soit le mauvais goût de ses clichés, il les met en scène avec goût. C'est le goût français: cette faculté qu'ils ont de porter une chemise rayée avec une cravate à pois sans que cela soit ridicule.

J'aime assez les amis comme B. parce qu'ils me laissent le temps de réfléchir à ce que je vais dire pendant qu'ils réfléchissent à ce que je viens de dire.




Interview : LA MÉMOIRE DES JEUNES GENS CHICS...

[INTERVIEW] par Raffael Enault

Roads magazine 2016

http://roadsmag.com/interview-philippe-morillon84475483900/

Philippe Morillon raconte ici sa jeunesse, ses amis, sa vie, ses années Palace et son passé d’illustrateur à la mode.( suivre le lien )

Interview : Philippe Morillon : UN HORIZON DE TRAVERS


Interview d'Olivier Mokaddem pour son blog : Stratégie des usages

13 Octobre 2018

https://blog.fastandfresh.fr/philippe-morillon-un-horizon-de-travers/

Texte publié le 18/10/2012 par PHILIPPE MORILLON

Notes marginales sur le pastiche & l'anachronisme

Le pastiche peut répondre à plusieurs intentions différentes. Le plus fréquemment, il traduit l'influence d'un maître sur un artiste moins doué ou encore jeune, naturellement porté à imiter.

Texte publié le 25 avril 2015 par PHILIPPE MORILLON

Autofiction en peinture & quelques conséquences théoriques spéculatives

Lorsque j’ai décidé au début de l’année 2015 de refaire une peinture dans le style des illustrations que je réalisais quarante ans plus tôt en 1975....

Lorsque j’ai décidé au début de l’année 2015 de refaire une peinture dans le style des illustrations que je réalisais quarante ans plus tôt en 1975, (ce que je faisais déjà depuis quelques temps sans l’avoir formalisé clairement) j’ai vite réalisé que le sujet des images devait aussi se trouver à cette période, qu’il ne fallait ne pas séparer la technique de dessin du sujet représenté.

J’ai donc travaillé sur une photo de vacances en Amérique, en 1976 exactement. Un voyage magnifique réalisé depuis New-York jusqu’en Californie dans une Cadillac blanche neuve à convoyer au travers du pays, nous étions cinq amis dont Gilles Blanchard de Pierre et Gilles. C’est Friquet, le fils du peintre François Morellet qui avait organisé le voyage car il connaissait déjà bien le pays. J’avais réalisé des photos de mauvaise qualité sur un petit appareil jetable dont j’ai retrouvé quelques tirages. La photo représentait trois personnes au bord d’une piscine d’hôtel à Las Vegas en un cadrage serré bien balancé, le sujet était parfaitement dans le ton, mais les détails de la composition pouvait être améliorés grâce au dessin numérique sur écran. J’ai gardé l’esprit de mes peintures de l’époque et fait une reconstitution mentale de ce que j’aurais pu réaliser à partir de cette image en 1976. Peindre une image que j’aurais pu peindre en 76 mais que je n’ai pas peinte. J’ai réalisé un dessin numérique et un papier peint assorti dans un esprit très 70 (références entre David Hockney et Alain Jaquet) et je vais essayer d’en tirer quelques conséquences théoriques spéculatives.

Si je n’ai pas fait cette peinture en 1976 c’est trop tard, il n’y pas de temps perdu qui ne se rattrape en dehors des romans et de la philosophie du « temps authentique ». Le temps n’est pas un concept intégré à la forme d’art que je pratiquais en 1976 qui ne se posait pas ce genre de question. Malgré tout, le thème d’un temps révolu est déjà présent dans les scènes «rétro 1950/60» que j’affectionnais. On y voit des décors et des attitudes passéistes assez souvent, mais je les traite à la «sauce 1975». Comme tout néo-classicisme, ces illustrations sont des résurrections approximatives, historicistes et assez datées des années 50, ce qui en fait le charme. Pareillement la peinture troubadour est inspirée du moyen âge et pourtant totalement romantique.

La peinture figurative narrative n’est pas à l’aise avec le temps parce qu’elle est actuellement regardée en un éternel présent 1. Le passé, ou plutôt la conscience d’une époque passée doit être le principal sujet représenté. Un film à costume ? Refaire à l’identique est déjà difficile mais refaire ce qui n’a pas existé... Donc c’est un travail à la manière de Viollet-le-Duc, c’est à dire «autre-chose-de-neuf-qui-a-l’air-ancien » ce qui me conviens assez bien. Un dessin sur photoshop est ontologiquement différent d’une peinture acrylique sur contre collé, il y a un abîme. Je ne travaille plus avec la même technique, le numérique mime le dessin, comme je fais mine d’être en 1976, et ne le cache pas du tout.

Ce serait peut-être une «Autofiction» : la projection de soi dans un univers fictionnel où l’on aurait pu se trouver, où l’on n’a pas vécu réellement, mais si proche de la réalité que l’on ne saurait le distinguer, un monde possible qui n’a pas existé 2. Un mélange savamment orchestré de fiction et de réalité dans un but autobiographique. Le terme d’autofiction est assez diversement compris : il est issu de la littérature et pas du tout reconnu dans les arts plastiques majeurs qui ont laissé tomber la narration et la représentation depuis assez longtemps. Je choisis parmi les nombreuses définitions de l’autofiction, celle de Gérard Genette : le principe des trois identités : L’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal 3.

Je peins un tableau qui montre ce que voit (dans la fiction conventionnelle de la représentation d’une vision intérieure) ou fait, le personnage principal (de la série de tableaux) qui est moi même en 1976­­, histoire semi-fictive narrée, conçue, représentée dans le genre de l’illustration réaliste que je pratiquais à cette période.

Un auto-pastiche sera une expression plus claire. Beaucoup d’artistes font cela, beaucoup sans le savoir lorsque l’inspiration les a quitté et que le public en veut encore. D’autres antidatent aussi les œuvres pour des raisons commerciales, c’est une pratique assez courante, mais inconsciente ou dissimulée. Le pastiche peut quelque fois virer à la parodie... c’est subjectif. Je pense à un auto-pastiche volontaire qui ne serait pas péjoratif.

Cette sorte de boucle rétrospective dans la carrière d’un artiste est-elle une pratique usuelle ? Je me souviens de François Morellet en 2007, il proposait au Musée d’art moderne de la Ville de Paris une exposition "Blow-up 1952-2007", «...posant la question de l’agrandissement et de la reprise d’œuvres antérieures». Il y refaisait les toiles géométriques de sa jeunesse en grand, propre et clean, mais n’en créa pas de nouvelles dans ce style 4.

Il y a aussi une photographie peinte de Pierre et Gilles de 2014, un «autoportrait 78» où des modèles jouent les rôles de Pierre et Gilles tels qu’ils étaient en 1978, la technique utilisée étant à peu près inchangée depuis cette date et la retouche aidant, on ne sait plus très bien qui est qui et quelle est l’époque.

Un pastiche est une imitation du style d'un artiste, ici pas d’imitation puisque c’est une production des artistes, seule la fiction d’un auto-portrait se rapproche de mon propos.

On peut citer aussi les panneaux que Laurent Grasso 4 fait peindre dans le pur style du Quattrocento, avec les techniques du Quattrocento, sans anachronisme, qui auraient pu être peints à cette époque mais qui le sont maintenant avec une sensibilité contemporaine.

L’autofiction 5 est un concept littéraire assez incompatible avec les arts plastiques actuels, ce qui à mon sens est un plus car c’est un parti pris personnel, mais il présente l’inconvénient de me placer hors piste et difficile à apprécier. La norme depuis le formalisme a consisté à rejeter du discours artistique tout ce qui appartenait à la narration et à la représentation en général. Ma déclinaison de l’auto-fiction vers la peinture a l’avantage d’être issue d’un concept très à la mode en littérature, donc valorisé d’une certaine façon car bien connu.


«Je peins aujourd’hui les tableaux que j’aurai pu peindre en 1976» est un concept simple. C’est juste une petite fiction, un scénario pour une performance picturale. Cela n’implique pas que les peintures doivent être bonnes, mais qu’elle doivent être plausibles dans l’environnement et avec moyens psychiques et techniques de l’époque. C’est un programme avec contraintes. Une règle du jeu. Un mode d’emploi. Je dirais bien autopiction, mais c’est un peu pompeux (et déjà pris, "Autopiction: Où va la peinture", Laurent Marissal, 2011. Que je n’ai pas lu.)

Cette période de ma vie biographiquement à été très réussie, tout me souriait dans un monde de la fin des trente glorieuses assez confortable. Ce genre d’illustration a eu un certain succès populaire à l’époque et correspond à ce que j’ai fait de plus efficace en matière d’image. Je suis le mieux placé pour en faire des pastiches puisque j’ai déjà pratiqué, ce style qui n’est pas révolutionnaire mais est une habile synthèse, fait des débris de pop art, d’images publicitaires et cinématographiques anciennes, hyperréalisme passéiste et anecdotique bien ficelés. Mais c’est «mon» histoire et à ce titre elle devrait être un sujet plus vrai et plus senti que n’importe quel autre.

Une dépression totale des valeurs esthétiques que j’ai pu pratiquer depuis et qui ont été une série d’impasses, d’échecs commerciaux et moraux, me fait voir cette période comme un âge d’or, une Arcadie enchantée de la jeunesse et du succès. Le simple fait d’avoir été jeune beau et content de moi est déjà une bonne raison pour faire de cette période un Eden magnifique, c’est le cas de tous les hommes qui ont passé depuis longtemps cet âge.

J’ai admis que je devais être un artiste d’Art assez médiocre et que j’avais été un meilleur imagier populaire. Il fallait donc travailler sur ce que j’avais fait de mieux dans ma vie. Même si cela ne me plaisait qu’a moitié. J’aurais voulu être un artiste à 100% mais qui décide ce qui est artistique ? pas moi, je ne peux que proposer des images au public. Je ne suis pas nominaliste ( je crois pas qu’il suffise que je dise « C’est de l’Art».)

En 2015 nous avons le recul pour apprécier tous les artifices de ces périodes disparues des années soixante dix que l’on voyait mal lorsque on était immergé dans l’époque. Les arts, la musique, le style font rêver et beaucoup d’artistes (au sens large) anciens sont aimés aujourd’hui par ceux qui n’ont pas connu ces périodes d’avant les diverses crises sociales et économiques qui se sont succédées depuis. Pourtant l’illustration de cette époque reste ringarde (...dans le creux de la vague tout est rabaissé). Il faudrait penser un mouvement de l’eau vers le haut, une vague qui remonte et tout ce qu’elle porte devient magnifique en passant dans la lumière. Il est normal qu’il y ait des creux et des vagues sur la mer (c’est n’est pas de la bipolarité). Comment juger de sa position lorsqu’on est dans l’ombre ? Une théorie va t-elle pouvoir m’aider ?

La représentation des images à notre époque selon Tristan Garcia :

Il existe trois modes qui résument l’histoire de la représentation esthétique 6 :

Le premier : Le mode contemporain de la représentation, il préfère la présentation, il n’aime pas le décalage entre ce que sont les individus et ce qu’ils pensent être. Nominaliste, le goût contemporain aime les individus, mais ils ne sont pas représentables puisque l’absence de la chose est une condition de la représentation. Il faut de la présence et du présent. Il faut des événements plutôt que des objets.

Je simplifie le propos : un tableau est une sculpture plate dans ce monde. Mais ce mode/monde aime aussi les fictions... (ce qui me va... mais les diagnostics précédents ne sont pas favorable à mon travail tel que j’essaye de le définir ici... je relève surtout le problème que pose la re-présentation, il y a une présentation de trop.)

Autrefois, aux temps de la modernité (c’est le second mode : avant le contemporain) les représentations des conditions de la représentation étaient le sujet unique de l’attention. Conscient de sa conscience, réflexif, en spirale ce mode de découpage de la réalité croyait à l’aliénation des objets.

La série de peintures que je me propose de réaliser se classe dans la catégorie du mode le plus ancien le «mode classique de la représentation», le troisième. (avant la modernité) cette représentation est possible dans ce monde; elle est même valorisée. Il y a une vitre claire pour observer le monde, un sujet voit un objet derrière cette vitre, comme sur un tableau figuratif classique. C’est un système classique qui inclut dans la figuration de la narration, de la psychologie, de l’espace perspectif, des symboles et un tas d’autre choses que le procès moderne commencé au début du XXe siècle a éliminé de l’Art parce qu’elles prenaient toute la place .... reservée à l’art pur : la peinture abstraite par exemple.

On voit que ces trois modes coexistent toujours, chacun détestant les deux autres, le mode classique est toujours actif (malgrès son obsolescence théorique) auprès de 99 % de la population. La modernité et le contemporain qui ne vivent que dans les musées et galeries d’art contemporain mais ils y occupent à leur tour toute la place....

En fait les différents régimes de représentation (classique/moderne/contemporain) sont mélangés dans la période actuelle et servent à tour de rôle selon les besoins des utilisateurs, ce qui ne simplifie pas l’usage de cette théorie à des fins prédictives.





Je ne retiens que l’idée de fiction : elle est très conforme à l’esprit contemporain. Ce que je déduis de cette incursion philosophique est que si mon propos était de la littérature ou de la bande dessinée ce serait sûrement mieux. Il y a pas mal de scénarios au cinéma qui mélangent les temporalités des personnages, un exemple : dans «Le nom des gens », réalisé par Michel Leclerc en 2010, trois acteurs interprètent le même personnage jeune, adulte et vieux dans la même scène où ils dialoguent. Dans ses romans Eric Chevillard devient un personnage parmi ses personnages. Pierre Bayard dans son livre «Le Plagiat par anticipation» (Éditions de Minuit, 2009) considère qu’il est imaginable de s’inspirer de créateurs qui ne sont pas encore nés. Les jeux conceptuels avec le temps sont devenus assez courant même dans les œuvres populaires. Il n’y a rien de très nouveau dans mon affaire, cela me rassure.

Le «nouveau» en art est justement un point qui me préoccupe. Tristan Garcia, déjà cité et qui est un philosophe très actuel remarque «Une fatigue historique se fait dès lors sentir qui emporte sur son passage non seulement l’exigence de renouvellement incessant, mais encore le concept même de singularité.7». Je ne suis donc pas le seul à avoir le sentiment de l’épuisement de la nécessité ­du nouveau, autrefois tellement importante. (On va dire singulier = nouveau.)

La position de l’œuvre dans l’expérience esthétique qui va de l’artiste au «regardeur» diminue, certain artistes veulent même s’en débarrasser. La place de l’artiste diminue aussi, il n’est plus qu’un maillon de la chaîne ou les médiateurs (galeries, musées, collections expositions, marché) ont pris beaucoup d’importance. Tout ce qui est autour de l’œuvre est aussi important qu’elle. Cette bulle virtuelle et physique intègre les contextes matériels : chez le collectionneur ou à la galerie, l’exécution par l’artiste ou un tiers; et les contextes immatériels : les sens d’interprétation possibles, les relations historiques, la place dans une série, la cote de l’artiste etc... tous ces éléments dépassent largement l’œuvre sont devenu prépondérants pour sa compréhension. Le marché prétend aimer la nouveauté, pierre de touche de la modernité, mais en fait il préfère ce qu’il connaît déjà ; l’expérience esthétique nouvelle demande un esprit disponible et indépendant qui n’est pas compatible avec la démocratisation de masse. En fait le pastiche et la redondance sont bien installés sur la scène de l’art actuel, on exécute juste une rotation des modes recyclées du passé glorieux de l’Art moderne : cette année c’est le formalisme abstrait des années 50 qui est l’objet de multiples «revivals».

Le manque de création formelle de notre époque est-il réel ou sommes nous dans un creux de la vague où nous ne voyons rien du paysage par absence de perspective ? J’ai l’impression de pas être le seul à voir beaucoup de zombies dans les galeries et musées, morts et vivants .... La mode vestimentaire elle même et c’est facile à constater tous les jours, stagne sans direction depuis 20 ans... et pratique le rétro en boucle.

Il se trouve que je suis persuadé d’être un artiste assez ordinaire, si j’avais été bon cela se saurait depuis longtemps, donc inutile de me mettre à la recherche de Dieu sait quoi d’extraordinaire que je vais découvrir. Il faut mieux faire soigneusement ce que j’ai déjà esquissé innocemment il y a quarante ans avant que la conscience de l’Art Moderne et la culture des avant-gardes (que je n’avais pas encore réalisé en pratique) ne me convainque (par exemple) de peindre des monochromes ou de faire des photos de maquettes qui n’ont intéressé personne. La sincérité avec laquelle j’ai travaillé à toutes ces œuvres n’en a pas garanti la qualité.

Je n’aimerai donc mon travail des années 1970/1980 que parce qu’il a plu et que même s’il n’était pas d’une grande originalité, je choisirai d’y revenir, de lui dresser un culte, de lui rendre hommage aujourd’hui parce il aurait du succès à l’époque? C’est un point un peu désagréable à admettre mais qui me semble correct quoique réducteur. Je note : originalité : s’il faut entendre aussi par là «origine»8 et bien voilà des origines à un travail actuel, qui devient original par conséquence, alors qu’il ne l’était pas à l’époque. Cette petite boucle dans le temps fait toute la différence.

Je ne suis pas un génie incompris et mes travaux qui n’ont eut aucun écho devaient être assez mauvais, mais je sais aussi que dans un mauvais contexte bien des œuvres sont invisibles, et par cela même inappréciables. Pourquoi celles que je renie un peu plus haut sont inappréciées : parce que restées au placard ? Parce que l’art est un objet collectif de relation avec les autres et même merveilleuse une œuvre qui n’est vue par personne ne fonctionne pas. On me dira que les dessins des grottes de Lascaux faites par une petite bande locale sont restés des milliers d’années dans le noir et qu’ils sont finalement réapparus devant un énorme public mondial, je dirais que c’est l’exception qui confirme la règle ( il y avait peu d’œuvres et rares sont celles qui sont vues actuellement ), rien à voir avec les millions d’œuvres stéréotypées qui encombrent notre patrimoine et qui saturent tout, ce qui n’était pas le cas au paléolithique. La sélection naturelle trie toutes les œuvres .... donc je regrette d’avoir passé tant de temps sur des erreurs et je vais essayer de ne plus le faire, vœu pieux.

Si : «....L'art contemporain transgresse les frontières de l'art telles que les conçoivent l'art moderne et l'art classique". La singularité est un impératif fondamental de l'art contemporain. On est dans ce que j'appelle le "régime de la singularité", depuis le milieu du XIXe siècle. L'impératif de renouvellement, d'originalité, est obligatoire. L'œuvre dans l'art contemporain ne réside plus dans l'objet mais dans l'expérience que l'objet va provoquer. 9» selon Nathalie Heinich, ce qui me semble bien vu.

Question : puis je être singulier sans pour autant peindre d’une façon nouvelle ? Oui, car cette expérience artistique, peut être déclenchée par n’importe quoi, tous les prétextes sont admis, c’est confirmé. Donc de la peinture non-nouvelle ira très bien, d’ailleurs on en voit un peu dans les galeries, sauf que ce n’est pas la même, c’est sous le signe de la dérision ou du ratage que l’on la trouve en général, mais se serait l’occasion d’un petit renouvellement, attention un petit.

Un fois débarrassé de l’obligation de faire du nouveau radical, je peux prendre une position à la «chinoise 10» (pour simplifier) : une position qui cherche juste à se mettre au niveau des maîtres anciens et à les continuer sans changements brusque, en l’occurrence les maîtres anciens n’étant pas totalement inaccessibles puisque ils sont un ancien moi, je pourrais chercher à en perfectionner le style et la forme dans l’étude et la répétition. Bien sûr je sais aussi que ce n’est pas avec des intentions et des concepts que l’on fait des images «bonnes» mais avec de la pratique et du lâcher prise. Décrispé au sujet de la recherche de l’authentique et du singulier, je les trouverai peut-être, si je ne cherche pas à les atteindre.

J’ai fait un abus de citations totalement exagéré dans ce texte, car je trouve qu’il y a un tas de gens qui pensent mieux que moi et ont de bonnes idées, je les collectionne comme un sauvage les fétiches, pour me protéger de retomber dans les erreurs artistiques.

Ph. M.

« Je n’écris plus, à quoi bon écrire ? Tout ce qu’il y a de beau a été dit et bien dit. Au lieu de faire une œuvre, il est peut-être plus sage d’en découvrir de nouvelles sous les anciennes. »

Gustave Flaubert

Notes :

1 : Notre époque serait celle du présentisme selon François Hartog : ce régime d'historicité (rapport qu'une société a au passé, au présent et à l'avenir) est marqué actuellement par le présentisme qui privilégie la mémoire (traces laissées dans le présent par des passés successifs) à l'histoire (reconstruction et mise à distance de ces passés).

2 : D'abord théorisé par Leibniz, le concept de « mondes possibles » a fait l'objet d'un intérêt renouvelé, au XXe siècle, grâce aux travaux de la logique modale, portant sur la nécessité, la possibilité et la contingence, et en particulier grâce à la sémantique des mondes possibles développée dans les années 1950 par Saul Kripke, David Lewis, et de la Théorie d'Everett : une interprétation de la mécanique quantique. Un énorme sujet qui dépasse de loin mes modestes dessins qui n’ont aucun contenu philosophique.

3 : Une définition est proposée par Gérard Genette, qui la définit tout d’abord d’après le « protocole nominal » de la triple identité (l’auteur est narrateur et protagoniste). La « vraie autofiction » a, selon Genette, un contenu narratif authentiquement fictionnel. (Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991)

4 :...Etablissant une filiation directe entre ses travaux originels et ses œuvres récentes, «Quand j'étais petit je ne faisais pas grand», il met en évidence une temporalité contractée de son parcours artistique, sorte de micro rétrospective en boucle. Cet exercice «excitant, dérisoire et périlleux» comme il le définit, est aussi un geste provocateur, «une farce, une comédie» rejoignant l'esprit Dada de Duchamp et de Picabia. (Extrait du catalogue du Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. 2007.)

5 : «Le travail de Laurent Grasso, protéiforme, décline des environnements à la temporalité trouble qui amène le regard du spectateur à s’interroger sur la vérité même des formes qu’il perçoit. A l’intérieur de l’œuvre, le temps se contracte et se dilate, entre anticipation et archéologie du passé, Laurent Grasso produit des dispositifs qui induisent une perception simultanée et incohérente du temps. (Texte de présentation de la Galerie Valentin.)

5 : Une autre description que je trouve intéressante : «L'autofiction est une assertion qui se dit feinte et qui dans le même temps se dit sérieuse» (Marie Darrieussecq : L'autofiction, un genre pas sérieux, Poétique n°107,1996.) Autrement dit, l'auteur d'autofiction tout à la fois affirme que ce qu'il raconte est vrai et met en garde le lecteur contre une adhésion à cette croyance. Dès lors, tous les éléments du récit pivotent entre valeur factuelle et valeur fictive, sans que le lecteur puisse trancher entre les deux. Un peu comme le trompe l’œil en peinture, vrai et faux en même temps.

6 : d’après Tristan Garcia, «Comment notre époque découpe les représentations qu’elle se fait des choses, ou de quoi l’époque est-elle faite ?» Conférence à l’ENS «Les lundi de la philosophie» janvier 2011. Voir «Formes & objets, un traité des choses» PUF 2011.

7 : Postface « Critique et rémission », in Mehdi Belhaj Kacem, "Algèbre de la tragédie", Paris, Léo Scheer, 2014.

8 : d’après Martin Heidegger «L’origine de l’œuvre d’art» in "Chemins qui ne mènent nulle part", Gallimard 1962.

9 : "Le paradigme de l'art contemporain : structures d'une révolution artistique", Nathalie Heinich, Gallimard, 2014.

10 : « Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir », Confucius.